Bahia de Los Angeles,
ou comment j'ai failli raté une sortie de plongée.
Quand, pour une raison ou une autre, un mordu de
plongée se retrouve en Californie, plusieurs choix s'offrent à lui pour
assouvir sa passion. Attiré par l'insolite, j'ai choisi d'aller en voiture, de
San Diego, à Bahia de Los Angeles, en Basse Californie, au Mexique.
Bahia de los Angeles, déjà le nom fait rêver. Quand on lit que c'est la plus belle baie du Mexique, un village du bout du monde, au milieu de la désertique péninsule de Baja et avec une vie marine abondante, ça suffit pour faire vibrer, jusqu'à résonance, un vieil aventurier comme moi. Aventurier du dimanche, d'accord, mais puisque l'esprit y est et avec un peu d'imagination, on s'y croit.
Je pars de
San Diego, parce que je me rends compte qu'il est plus avantageux de louer une
voiture aux US qu'au Mexique. Je traverse la frontière, et voilà un nouveau
dépaysement, je me retrouve en plein tiers monde. Je ne m'arrête même pas à
Tijuana. Cent kilomètres plus loin je passe la nuit à Ensenada. De là il reste
550 km, sept heures sur le transpeninsular, si on est pressé. Il faut faire encore environ 200 km
après Ensenada pour quitter
le tiers monde et pénétrer dans les paysages des pionniers.
De grands
espaces inhabités, souvent grandioses, des "forêts" de cactus qu'on n'a jamais vu dans les films. Une bicoque
des fois, avec le grand panneau
"TECATE" (la bière) qui fait resto. Concernant la bière, je préfère
XX (Dos Equis) et ici j'ai découvert Pacifico, qui se laisse boire avec
plaisir.
A la sortie d'un virage, la Baie apparaît. Je ne
sais pas si c'est la plus belle, mais elle est féerique. Les montagnes et les
îles désertiques de couleur ocre et la mer turquoise. Le village est éparpillé
sur une très grande surface, avec des habitations sur presque toute la circonférence.
C'est le bout du monde. Le radio de ma
voiture ne capte plus aucune station, mais ils ont la télé. Il paraît qu'il y a
le téléphone, telefono rural, quelque part. Mon hôtel a l'air conditionné, mais la centrale électrique
locale fonctionne de 17 à 22 heures. Pas de marchands de souvenirs, on ne
trouve même pas des T-shirts avec "I love BLA" écrit dessus. Ils ne prennent pas la carte de crédit,
la banque la plus proche est à 200 km. C'est un sentiment d'insécurité
étrange pour l'homme moderne de savoir que sa carte de crédit n'est
qu'un morceau de plastique. Je n'arrête pas de compter et recompter mon argent
liquide et de me demander si j'en aurai assez.
Je m'installe et je pars organiser mes plongées, naïf
comme je suis, mais je ne le sais pas encore. J'ai vu à l'entrée du village une maison avec le
drapeau rouge à diagonale blanche dessiné sur le mur. Il n'y a personne, optimiste, je me dis
qu'ils doivent être partis plonger, ils rentreront plus tard. Il n'y aura
jamais personne. J'y vais au Dagget's camp, 3 km de route poussiéreuse,
mentionné dans le guide de Lonely Planet pour la plongée. En discutant avec
eux je me rends compte que c'est mal parti. L'activité ici c'est la pêche.
Je suis le seul plongeur au village. Ils me demandent 100$ pour le bateau, je ne
cherche même pas à savoir comment ils imaginent que je vais plonger. Il fallait
mieux lire le guide, c'était dit qu'ils peuvent vous emmener plonger, pas
qu'ils organisent des plongées, et ce n'est pas pareille.
Je remarque un autre panneau rouge et blanc. Pedro, un pêcheur sympa, baisse le
prix a 80$ et m'explique. Il faut que je trouve un ou des blocs. Plonger seul?
Non, avec lui, il va me surveiller du bateau. Il a beaucoup plongé auparavant,
avec tuyau et compresseur sur le bateau, mais il ne le fait plus, il est malade
du dos. Oui, oui, je comprends. Il connaît des endroits, il a vu des mérous
gros comme ça, dommage que je n'ai pas de fusil. Je n'essaie pas de lui
expliquer que je ne vois pas du tout pourquoi j'aurai buté un mérou. Pour
trouver un partenaire, il me conseille de me renseigner dans les hôtels.
Je décide de me renseigner, à l'heure du dîner, dans les restos. Ce n'est pas difficile, il y en a peu, ils sont vides ou presque et en plus on reconnaît par leur tête de beauf de cowboy, ceux qui sont là pour la pêche. Ils arrivent en 4x4, remplissent d'énormes glacières avec du gros poisson et rentrent chez eux. Une curiosité: il est interdit de ramener une pomme au US, mais pas du poisson, même pourris.
Ça s'annonce très mal. Je me
rends compte que je ne pourrai pas plonger du tout. Je compte mes jours pour
voir si j'ai le temps d'aller plonger dans les casinos de Las Vegas. A l'hôtel on me conseille
d'aller voir au camping Gecko, 6 km de poussière. Le lendemain matin j'y
vais. Il faut voir George, sur la plage. Là on me dit qu'il est
parti en mer. Je fais du PMT, beaucoup de plancton, pas de visibilité.
Je dois me résigner d'abandonner. Rentrer sans avoir plongé. Et là, comme
au cinéma, juste en partant à la voiture, un mec m'aborde. George. Oui, on
peut plonger, pas grave que je suis seul, lui il va de toute façon plonger avec
sa femme. 50 $, deux bouteilles, je trouve ça honnête. On part tout de suite.
Au milieu de la baie on fait une rencontre morbide: une baleine morte. On voit
plein de vautours à terre, mais aucun sur le cadavre, alors je me dis qu'ils
n'aiment pas les fruits de mer.
Les plongées ne sont
pas exceptionnelles. Peu de visibilité, pas de corail, donc pas de poissons
multicolores. Mais on va voir les otaries. Une famille d'une trentaine de
femelles et de petits et le "bull", le mâle. Il est beaucoup plus grand et
n'arrête pas de les engueuler. Elles viennent jouer autour du zodiac. Je suis
tellement excité qu'une fois à l'eau je me rends compte que j'ai oublié
mes palmes. Tiens, la ceinture de plomb aussi. On plonge. Elles s'amusent avec nous, j'ai même
l'impression qu'elles se moquent de moi. Il y en a une ou deux autour de moi,
ensuite plein, ensuite elles disparaissent, reviennent. Elles surgissent de gauche,
de droite, d'en haut, d'en bas, d'en face.
Ça valait le voyage.
Le lendemain je loue, au Gecko, un kayak. 10 $ la
journée. A partir de 6h, en 3 heures, je traverse doucement la baie. En longeant la
côte brève rencontre avec un coyote. Je me
retrouve sur une plage avec une épave sur le sable. Le soleil commence
à taper, alors je décide de rester ici, dans l'ombre de l'épave.
Jusqu'à 16h 30. J'ai à boire et des fruits, mais rien à lire. Je ne sais
pas l'expliquer, mais je ne me suis pas ennuyé. Je n'ai même pas fait le
point, je ne me suis pas demandé ni qui je suis ni d'où je viens, ni où j'y vais. Pendant la journée j'ai vu deux pêcheurs sur une barque et deux kayaks.
J'ai observé les oiseaux, les poissons qui sautent. De temps en temps, à un mètre
du bord, une raie pressée passe.
La muette qui vole an ras de
l'eau, se casse la gueule, j'éclate de rire et je m'arrête net: elle ressort avec un poisson dans
le bec. Dans la matinée, au loin il est apparu
une baleine. J'entends un grondement sourd, sa respiration, qui à cause de
l'écho fait penser à un éboulement lointain. Elle a réapparu dans l'après-midi, si c'était la même. Au retour je me goure. Je n'arrive pas à
identifier Gecko du loin, je finis par atterrir au village. Je ramène le kayak,
pas fier, en pick-up.
Le loueur me demande si j'ai vu le requin-baleine, les
autres kayaks l'avaient vu. Je ne comprends pas comment je pourrai le trouver
avec un kayak. Il m'explique qu'il évolue en surface et qu'on voit les
ailerons. A bon !!! Je vois maintenant. Je cours chez George et je lui
demande s'il plonge demain et s'il pense qu'on pourra trouver la bête.
C'est oui.
Il me promet trois plongées, mais il n'a que
trois blocks pour Sandy et moi, alors il embarque son compresseur sur le zodiac.
Au bout d'une dizaine de minutes j'aperçois les ailerons: la dorsale et la
queue. Il faut le dire, la moitié du plaisir de cette rencontre est dans le
moment où on l'aperçoit. C'est magique. Comme dans « Les dents de la
mer », sauf que celui-là est inoffensif. On s'approche. Très
approximativement, il doit faire 6-7 mètres, le plus large au niveau de la tête,
disons 80 cm. Pendant quelque temps on essaye de prendre de belles photos.
George me dit qu'il faudrait mieux aller en PMT. On s'installe sur les boudins,
Sandy conduit et essaie de se placer un peu devant lui sur sa trajectoire. Au
« top » on se laisse glisser dans l'eau.
Il y a d'abord le nuage de bulles autour de moi, elles s'en vont, je vois que dalle. Que du plancton, de l'eau verdâtre. Je palme comme un fou dans la direction que je crois bonne. Rien. Disparu. George propose qu'on aille plonger et qu'on revient l'après-midi. On est revenu, mais on ne l'a pas retrouvé. La zone fait quelque chose comme 5 km sur 5. Et encore, il n'était peut-être plus là.
On fait deux plongées, la première dans une crique très loin sur la côte. On voit quelques petites raies, dont une qui se laisse caresser. Le plus impressionnant ce sont la solitude et l'isolement, qui provoquent chez moi un sentiment de sérénité. Quand on sort pour la journée, en moyenne, on doit rencontrer un bateau. Et parce que le relief est nu, on sait qu'on est seul. Dans la baie on voit, au loin, les habitations. Dehors, il n'y a rien. En face, sur l'île Angel de la Guarda, 60 km de long, personne n'y habite. Il y a encore quelques siècles personne n'habitait dans ces contrées aux paysages bibliques. Il y aurait eu quelques milliers d'habitants, rien n'aura manqué pour qu'une religion monothéiste soit engendrée.
La deuxième plongée est dans un canyon. La mer est
un peu agitée et Sandy n'ose pas. Nous deux on descend à 27 mètres, puis
on remonte progressivement. Pas de palier. George est ravi, le paysage
sous-marin est vraiment beau. En plus il a ramassé un beau paquet de
coquillage, plus que d'habitude. Il propose qu'on redescende, maintenant Sandy veut
bien. Je trouve ça un peu léger. Une successive, avec intervalle de 20
minutes, et on n'a même pas d'ordinateur. Je reste en surveillance surface,
même si ici on ne trouve pas ça nécessaire. Ils ont fait 30 mètres, pas
de palier. George dit que ce n'était pas nécessaire, ils ont fini la plongée
vers sept mètres.
Au retour, avant de passer aux US, je contemple une
des merveilles du monde moderne: le mur. Ceux qui n'ont pas vu celui de Berlin,
peuvent se rattraper ici. Celui-là est à l'américaine: plus long, plus
efficace, plus meurtrier. En plus on peut l'admirer plus sereinement. Il
n'inspire pas un tel sentiment de honte que l'autre, au moins pas auprès de ceux qui
s'expriment dans les médias.
En conclusion, c'est une superbe aventure. Mais il
vaut mieux de la faire à deux, et de préférence avec quelqu'un qu'on aime. Surtout pour les couchés du soleil,
à contempler sur la plage ou sur une
terrasse avec un verre de Margarita. En préparant mon voyage
j'ai lu que
les couchés du soleil étaient fabuleux ici. Je ne comprenais pas, la baie est tournée
vers l'Est! Justement. Le relief (disposition et absence de végétation),
le climat (pas de nuages) et l'inexistence de pollution font que quand le soleil se couche derrière la
montagne, et pendant au moins une heure, on s'émerveille devant le
jeu de lumière sur le relief des îles et les reflets dans la mer, et sans avoir le soleil dans les
yeux.
Et pour d'autres voyages, il
n'y a pas que BLA en Baja. Plus au sud, là où les voitures de location américaines
n'ont pas le droit d'aller, il y a Bahia de Conception. Question boites de
plongée il ne devait pas y avoir un chat. Encore plus au sud, dans Bahia Magdalena
naissent les baleineaux, en février. Au bout, autour de Cabo San Lucas, 1500 milles de Tijuana, il est bon et
facile de plonger. Et encore plus loin, pour les blasées qui ont déjà faite
les Iles Cocos et qui ont du fric à claquer: les
îles de Revillagigedo, dites de Socorro, le royaume des mantas.